Babacar est pêcheur à Ouakam, à Dakar, au Sénégal. Tout les matins avant le lever du jour, il laisse sa maison endormie au centre du dédale de ruelles d'un des plus anciens quartiers de Dakar, et il descend sur la plage. Aidé de ses amis, ils mettent les pirogues à l'eau sous les deux imposants minarets de la mosquée de la Divinité. Puis ils gagnent le large, pleins d'espoir sur une mer qui se vide… même si elle reste l’une des plus productives du monde en ressources halieutiques.
Autrefois très poissonneuses, les eaux sénégalaises commencent à s'épuiser. "Il n'y a plus rien", me dit souvent Babacar. La faute, selon certains sur les quais, aux chalutiers étrangers qui, avec ou sans accords de pêche, tirent de grandes quantité de pélagique. Ou qui ratissent les fonds, détruisant l’habitat et diminuant ainsi de façon durable la productivité de la zone. La faute surtout, selon les scientifiques, aux pêcheurs artisanaux, de plus en plus nombreux, qui "font n'importe quoi". Les captures opérées par la flotte de pêche artisanale avoisinent en effet les 90 % des captures totales enregistrées au Sénégal.
Selon les ethnies, les zones, les familles… les techniques de pêche sont différentes. Si Babacar pêche "à l'ancienne", à la ligne avec hameçon, beaucoup de ses collègues utilisent d'autres méthodes: filet tournants ou dormants, casiers, apnée… dont certaines sont strictement interdites: filets en monofilaments, pêche de juvéniles, filets dormants dans les rochers, plongée avec bouteille et harpon, pêche à a dynamite…. La surveillance est inexistante, l'impunité totale. La pêche est devenue une activité refuge. Il y a de plus en plus de pêcheurs, des techniques de plus en plus prédatrices, de plus en plus d'habitants au Sénégal, de nouveaux marchés à l'exportation… et de moins en moins de poisson.
Pêcheur depuis 30 ans, Babacar est lébou, une ethnie sénégalaise culturellement (et économiquement) très fortement liée au littoral et à la mer. Aujourd'hui, Babacar ne veut pas que son fils suive la voie de la pêche, de plus en plus difficile. 'La mer est vide' se désole-t-il en préparant son matériel pour partir un mois en Mauritanie, pêcher et vivre dans des conditions difficiles pour le compte d'un Maure dans des eaux qui ne sont pas encore épuisées… Acculés, d'autres partent plus loin, tentent la chance vers l'Europe, là ou la richesse semble ne jamais s'épuiser…